En collaboration avec la Chaire Max Bastin et le soutien du F.R.S-FNRS, les secteurs universités de la CNE et de la CSC/SP ont organisé un colloque sur le syndicalisme universitaire le 26 janvier 2012
Ouvrage
Les interventions faites lors de ce colloque ont donné lieu à la publication d'un ouvrage intitulé «Pouvoirs, contre-pouvoirs et concertation sociale dans les universités», paru aux Presses universitaires de Louvain. Plus d'informations ici.
Pouvoirs et contre-pouvoirs dans les universités. Quel rôle pour la concertation sociale ?
Partant des constats suivants :
- Dans la plupart des pays européens, dont la Belgique, le paysage universitaire est en profonde transformation. Ces transformations sont dues à la convergence de plusieurs facteurs externes.
- En interne, l’université en tant qu’organisation connaît depuis plusieurs années une mutation des métiers en lien avec ce qui précède, mais aussi en rapport avec l’augmentation du nombre d’étudiants, avec l’impact sur l’organisation du travail des technologies de l’information, avec les changements en matière de financement de la recherche.
- Ces multiples transformations du paysage universitaire et de l’université en tant qu’organisation constituent un enjeu pour le dialogue social et le rôle des organisations syndicales dans les universités. Mais alors que les défis sont largement communs à l’échelle européenne, les formes actuelles de dialogue social sont extrêmement fragmentées.
- Face à ces mutations, on observe une évolution parallèle du syndicalisme universitaire en Belgique et en Europe.
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Dans ce contexte, qui connaît des variables particulières liées à chaque université (académie, fusion, « plan de développement », etc.), les membres des différentes catégories de personnels s’interrogent sur la spécificité d’un engagement syndical :
- L’identité du syndicalisme universitaire est en recherche : en quoi le syndicalisme universitaire serait-il spécifique ? En quoi est-il semblable aux pratiques syndicales dans d’autres milieux ? Quel est son lien avec le mouvement syndical général ?
- Dans l’engagement syndical, y aurait-il conflit de loyauté entre la fidélité à une certaine représentation de l’université et un engagement syndical qui serait perçu comme déloyal par rapport au précédent ?
- Dans l’hypothèse d’élections démocratiques des dirigeants de l’université, où situer le sens et le rôle d’une action proprement syndicale ?
- Quelles sont les représentations que les personnes se font de la solidarité sociale interne et externe à l’université, des menaces sur l’exercice de leur profession et de l’engagement syndical ?
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Le colloque « Pouvoirs et contre-pouvoirs dans les universités : quel rôle pour la concertation sociale ? » invite chacun à venir saisir cette occasion de prendre distance pour réfléchir à ces mutations qui affectent l’université dans ses missions d’enseignement, de recherche et de service à la société.
Programme
8h45 Accueil
9h15 Allocution de bienvenue et présentation des thèmes du colloque : Gérard Valenduc, codirecteur à la Fondation Travail Université et professeur invité à l’UCL et aux FUNDP
Matinée : Les politiques universitaires comparées en Belgique et en Europe
Présidente de séance : Michèle Garant, professeur à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l'Education et Présidente de l'IPM à l’UCL
- Quel futur pour les universités belges francophones ? Quel rôle pour les acteurs ? par Jean-Luc Demeulemeester, professeur à l’ULB Une histoire des modèles d'université et leurs conséquences sur la politique de la recherche et de l’enseignement supérieur
- Réformes des universités en Europe et mutation des professions universitaires par Catherine Paradeise, professeur à l'Université Paris EstLATTS, Présidente de l'Institut francilien recherche, innovation, société (IFRIS) Les réformes universitaires européennes tendent à déplacer le centre de gravité des politiques de personnel vers les établissements. Comment penser dès lors une articulation positive entre organisations universitaires et professions dans les universités?
- Entre les Etats et les universités, des espaces et des enjeux nouveaux de dialogue social par Jean-Yves Mérindol, Président de l’École normale supérieure de Cachan, ancien président de l’Université Louis Pasteur de Strasbourg L’influence des évolutions en cours sur le rôle des acteurs (directions d'établissements, responsables des politiques publiques, syndicats). En particulier, le rôle nouveau des établissements qui ont à établir des normes internes sur les activités de leurs personnels
- Le paysage institutionnel de l’enseignement supérieur en Belgique : l’état du projet du Ministre Marcourt à la date du colloque et des positions en présence. Points clefs des interventions de la matinée et débat avec la salle par Pierre Verjans, professeur à l’ULg
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Après midi : Enjeux du syndicalisme universitaire face aux mutations des universités
Président de séance : Hervé Pourtois professeur à l'UCL, Chaire Hoover d'éthique économique et sociale
- Projections: La place de la délégation syndicale dans les organigrammes de quelques universités. Le paysage syndical interuniversitaire en Fédération Wallonie Bruxelles
- Les enjeux du syndicalisme universitaire et les problématiques actuelles dans l’ensemble de la communauté universitaire au Québec par Max Roy, professeur à l’Université du Québec à Montréal et président de la Fédération québecoise des professeures et professeurs d’université
- Les enjeux du syndicalisme universitaire en France, par Viviane Vernay Secrétaire générale CGT, Université de Lyon 2
- Les enjeux du syndicalisme universitaire en Flandre, par Luc De Lentacker, permanent de la LBC à la KUL
- Les enjeux du syndicalisme universitaire en Suisse, par Margarita Castro Secrétaire permanente du syndicat des services publics, Université de Genève
- Les enjeux du syndicalisme universitaire en Fédération Wallonie Bruxelles par Martine Evraud, CSC Services publics et Thierry Grosbois, CNE
- Essai de synthèse des interventions et échange avec la salle
- Les paradoxes de la participation à l'institution universitaire par Michel Molitor, professeur émérite et ancien vice-recteur UCL
- Intervention de clôture par Felipe Van Keirsbilck, secrétaire général CNE
- Fin du colloque - verre de la concertation !
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En résumé
Les objectifs des organisateurs, rappelés Gérard Valenduc (FUNDP et UCL), étaient de s'interroger sur la place de l'engagement syndical dans une université largement en mutation : le paysage de l'enseignement supérieur et de la recherche, la gouvernance des institutions ou encore les métiers sont l'objet d'évolutions profondes par rapport auxquelles le rôle des organisations syndicales sont à réfléchir et renforcer.
La matinée était consacrée aux transformations du paysage universitaire. Remettant l'université dans une large perspective historique, Jean-Luc Demeulemeester (ULB) a expliqué que de corporation (de professeurs ou d'étudiants) au Moyen-âge, l'université s'est transformée aux XIXème et XXème siècles sous l'influence d'un modèle allemand instaurant des institutions universitaires financées par l'état mais autonomes, où des professeurs à vie animés par la passion de la connaissance menaient recherche et enseignement en toute liberté. Ce modèle constitue, encore aujourd'hui, une référence. Sous l'influence des besoins de l'industrie (dès la fin du XIXème), et plus récemment de la massification sans financement adéquat, ce modèle a évolué. Mais depuis les années 1980, il est remis en cause dans ses fondements mêmes par les politiques d'inspiration néo-libérale, notamment matérialisées par la stratégie de Lisbonne, et les accords de Bologne : on opère un glissement utilitariste au profit (de plus en plus exclusif) des besoins de l'économie dans un contexte de concurrence internationale. L'université, et en particulier la recherche de pointe, apparaît pour les gouvernements comme un outil stratégique permettant de faire face, par l'innovation, à la concurrence des pays émergents, avec le paradoxe que le financement public se réduitentraînant une dépendance plus importante aux financements privés. Tout cela affecte directement la liberté académique ou la stabilité des carrières. Mais si les réformes menées un peu partout sont assez semblables, Catherine Paradeise (Paris EstLATTS et IFRIS) a montré qu'elles sont implémentées de manière parfois très différente d'une institution à l'autre. Les institutions ont à s'adapter aux contraintes extérieures nouvelles fixées par les pouvoirs publics (évaluation externe, financement à la performance, etc.), mais aussi à renégocier, en leur sein, les rapports de pouvoir et de collaboration entre professionnels et managers. La gestion manageriale mise en avant aujourd'hui se heurte en effet à une tradition de collégialité (à nuancer) qui prédominait jusqu'alors, et de nouveaux modèles de gouvernance doivent être imaginés. JeanYves Mérindol (ENS Cachan) a montré que dans ce cadre, les institutions doivent développer leurs propres normes destinées à orienter et évaluer les activités de leur personnel, tout en s'intégrant dans un contexte plus large (par exemple, en France, l'Etat reste un acteur central des statuts et carrières). L'état bailleur de fonds et stratège hésite donc entre fragmentation et centralisme. Au niveau syndical, il s'agit donc de pouvoir articuler des dimensions nationales, axées sur des métiers, et les situations spécifiques dans les établissements autonomes. Pierre Verjans (Ulg) a montré que ces hésitations sont bien présentes en Fédération Wallonie-Bruxelles, notamment dans le projet « Marcourt » (voir DDS 147) qui, de manière assez floue, met en avant de manière contradictoire l'autonomie des institution et leur rassemblement dans une structure faîtière.
L'après-midi envisageait, au cas par cas, les enjeux du syndicalisme universitaire dans différents contextes nationaux. Malgré les différences propres à chaque pays, on peut noter bon nombre d'éléments convergents : on assiste partout aux transformations décrites ci-dessus avec un impact sur le travail (transformation des métiers, surcharge de travail, etc.), les statuts (réduction du personnel, précarisation par multiplication des temps partiels, des boursiers, des CDD), ou la gestion des institutions (recteurs-managers, logique d'évaluation productiviste, etc.), et à une difficulté pour les organisations syndicales à mobiliser dans ce contexte. Mais parfois avec des succès, comme l'a montré Max Roy (UQàM) qui a insisté sur le maintien d'une solidarité collective dans les mouvements menés au Québec. Inversement, Margarita Castro (Syndicat des services publics, Université de Genève) a exposé le cas d'un référendum initié par le syndicat pour combattre une série de dispositions implémentées dans le canton de Genève à la faveur du processus de Bologne (comme la création de disparités salariales ou la révision à la baisse des statuts du personnel), et qui a été perdu. Dans ce cadre, le syndicat doit faire preuve de créativité pour poursuivre son action en contournant ou s'adaptant aux nouveau contexte. Viviane Vernay (Secrétaire générale CGT - Lyon 2) a souligné la faiblesse et l'éparpillement de la représentation syndicale dans les universités françaises (qui se retrouve, peu ou prou, dans tous les pays représentés), et la nécessité d'aborder les enjeux de l'université de manière plus large et interprofessionnelle : les enjeux de l'université sont liés aux enjeux des salariés du reste de l'économie. LucDe Lentacker (permanent LBC à la KUL) a, justement, proposé une collaboration syndicale plus étroite au niveau belge, dans un contexte de mise en concurrence des institutions par le biais de mécanismes de financement pervers. Martine Evraud (CSC-ULg) et Thierry Grosbois (CNE-UCL) ont fait un constat semblable en rappelant les problèmes de l'« enveloppe fermée », et en exposant les enjeux d'une action syndicale au niveau interuniversitaire, sur des dossiers comme la nécessité d'une carrière scientifique et académique plus intégrée grâce à un statut unique, les enjeux que ne traite pas la proposition Marcourt.
Michel Molitor (UCL) a montré que la participation au fonctionnement des universités reposait sur des présupposés différents suivant qu'on se situe dans une dynamique corporative ou syndicale. L'engagement syndical présuppose une adhésion volontaire à une vision du monde élaborée au sein des organisations, ce qui n'existe pas dans les corps dont l'appartenance est automatique. Le syndicalisme universitaire est-il pour autant spécifique ? Si dans l'université peut-être plus qu'ailleurs les militants se préoccupent autant des missions de l'institution que de la problématique des salaires ou des conditions de travail, Felipe Van Kiersblick (secrétaire général CNE) s'est toutefois dit tenté de répondre par la négative : l'université est confrontée à un contexte qui est, de plus en plus celui du secteur non-marchand ou de l'industrie des services : nécessité de traiter avec les directions et les pouvoirs publics, complexité des organisations, les interrogations sur la manière qu'ont les organisations de remplir leurs missions, etc. L'université n'est pas isolée de la société ni de l'économie, et à ce titre le syndicalisme universitaire a un rôle à jouer : interroger l'université, c'est interroger le modèle de société que nous voulons.
On pourra retenir, en guise de conclusion, que les intervenants ont montré que si l'attachement aux missions de service public de l'université est généralement fort chez les universitaires, la logique de marché peut se faire sans privatisation formelle de nos institutions. A côté de leur rôle indispensable de contre-pouvoir dans les conséquence de l'évolution des conditions de travail, le syndicalisme universitaire doit poursuivre son rôle d'encadrement des dérives strictement économistes et utilitaristes conférée à nos institutions par les pouvoirs public sous la pression des exigences de rentabilité économique concurrentielle à court terme.
Textes des interventions des orateurs
- Echos du colloque
- Mutations des universités et concertation sociale, le contexte : document de présentation de Gérard Valenduc, FTU
- Quels modèles d’université pour quel type de motivation des acteurs? Une vue évolutionniste : Intervention de Jean Luc DEMEULEMEESTER (ULB)
- Les paradoxes de la participation à l’institution universitaire : Intervention de Michel Molitor